Cas Contact

in DiY éducation

1.

Cet été, j’ai adopté un chaton. Je l’ai appelé « Professeur Raoult ». Pourquoi ? Parce que cet animal m’appartient corps et « âme », pour commencer. Je fais donc exactement ce qui me chante. Ensuite, parce qu’à défaut de vaccin ou de test fiable, ni même de statistiques compréhensibles par le commun des mortels, l’humour semble constituer la seule garantie durable à la prolongation de la vie. Le seul ennui, avec Professeur Raoult, c’est qu’il a tendance à passer par la fenêtre du salon pour aller vagabonder sur le toit de notre immeuble. Comme je suis un grand émotif, ce genre d’acrobaties me terrorise. Hier soir, je l’ai aperçu, étalé sur une cheminée en brique, au dessus du vide, inconscient du danger. Par ailleurs, il se léchait ostensiblement le cul. « Professeur Raoult ! » hurlai-je, dans un accès de panique, les larmes aux yeux. « Professeur Raoult, revenez immédiatement ! »

La bête intrépide a tourné la tête vers moi, semblant envisager un instant la perspective de m’obéir (ce qui eut constitué une jurisprudence émouvante dans le cadre de notre relation). Mais son caractère frondeur a rapidement pris le dessus et le chat a disparu d’un bond. « Professeur Raoult, ne faites pas l’idiot, tout le monde vous aime, ici  ! » l’apostrophai-je encore, tandis qu’il s’évanouissait dans la nuit.

Mon voisin d’en face, qui venait de faire apparition à sa propre fenêtre pour fumer un cigarette de cannabis, a dû penser que je m’adressais bel et bien au plus grand infectiologue français de tous les temps, autrement dit que je témoignais à Didier Raoult (né en 1952 à Dakar) mon indéfectible soutien dans sa lutte farouche contre les idées reçues ; et mon admiration sans bornes pour l’ensemble du travail de pointe effectué par son équipe marseillaise. Le tout gratuitement donc, accoudé à ma fenêtre, seul, à la lueur précaire d’un lampadaire poussif.

– Ça va, vous vous sentez bien ? a demandé le toxicomane, en allumant son pétard.

J’aurais pu lui avouer que je me faisais du souci pour mon jeune chat téméraire mais j’imagine que j’aurais eu l’air encore plus idiot à ses yeux . Enfin, si c’est possible. Or, j’implore l’amour de chacun à mon égard (même celui, j’en ai peur, des drogués manifestes). Aussi, ai-je pris le parti de répondre franchement à sa question de merde, comme si elle ne contenait pas le moindre sous-entendu :

– Si je me sens bien ? Pas super bien, non, en vérité… avouai-je d’un air grave. Je viens d’apprendre que je suis « cas contact ». J’ai reçu un mail de la caisse primaire d’assurance maladie. Ils sont formels : j’ai été en contact rapproché avec une personne porteuse du virus et je présente un risque de contamination. Je suis encore sous le choc.

– Coup dur, mec, commenta le voisin, sans grande inspiration.

– Ma propre CAF… Personne ne m’avait encore jamais parlé sur ce ton. C’est la première fois que je représente un risque tout court, je crois.

– Quelqu’un vous a balancé, c’est tout…

– Vous croyez ?

– Ah ben alors là, sûr et certain, mon vieux… Y’a comme qui dirait une vilaine taupe, dans votre entourage.

– Merde alors… murmurai-je en jetant un rapide coup d’œil vers le salon, afin de vérifier si ma femme s’y trouvait. Elle ne s’y trouvait pas le moins du monde. Sans doute était-elle enfermée aux toilettes, un talkie walkie de fabrication militaire à la main (qu’elle planquait entre deux serviettes dans le tiroir sous le lavabo), offrant mon signalement au Ministère de l’égalité Hommes Femmes ou quelque chose de ce goût-là.

– Ouais… poursuivit le voisin. Une poucave. Un sale mouchard.

– Mais j’aurais jamais cru que…

– Un indic. Un Judas…

– Vous ne dites tout de même pas que…

– Un sycophante, même, si ça se trouve ! s’exclama d’une voix tonitruante le distingué (et néanmoins toxicomane) linguiste.

– Bordel, mais où avez-vous donc appris cet authentique vocabulaire de rue ?

– J’ai grandi à Montreuil, c’est bon, calme toi.

Voilà à quel genre de discussion absurde j’étais une nouvelle fois confronté, hier soir, 20 heures, à la lucarne étroite de mon appartement de location. Il faisait un peu moins beau qu’en avril et j’étais un peu pluvieux, moi aussi (mais toujours poète). Quoi qu’il en soit, je n’applaudissais pas. Je n’applaudissais pas davantage que la dernière fois. On a quand même beaucoup appris depuis le premier confinement. Que reste-t-il à applaudir, d’ailleurs ? L’espoir a disparu, emporté, tel un vulgaire morceau de bois flotté dans le déferlement de cette deuxième vague, « une vague plus meurtrière, encore, que la première » (Anxiété et Constipation Magazine, août 2020).

Nous ne sommes encore qu’au début de ce mois de novembre…

Winter is coming, murmurent les barbus à trottinette électrique (avec un sourire énigmatique et narquois). Quoi qu’il en soit, le marché de Noël de la ville de Strasbourg a déjà été annulé, ce qui n’était pas arrivé depuis 1571 (because la Grande Peste : aucune mesure de prévention, pas de mise en quarantaine, tout individu atteint par la maladie succombait en moins d’une semaine) (comme quoi, on invente jamais rien, c’est lassant). Oui certes, nous nous apprêtons à passer un hiver très heroic fantasy ; assez médiéval à bien des égards, si l’on considère la déréliction des mœurs et le taux de mortalité.

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