Cas Contact (5/5)

in DiY éducation

J’ai entendu quelqu’un dire, un jour, qu’une bonne colère vaut mieux qu’une bonne douche. Ça a été une sorte de révélation, pour moi.

Depuis, je me lave moins :

— Tu sais que ça me fout dans une merde pas possible, d’être Cas Contact ? Tu sais que je suis en période d’essai, à l’heure où on parle ? Si jamais mon CDD dans les assurances n’est pas validé, je suis bon pour livrer des sushis à bicyclette. Tu comprends ? T’as vu la tronche du marché de l’emploi ? On dirait Roubaix, la nuit. J’ai une famille à nourrir, au cas où t’aurais oublié ! J’ai une meuf angoissée qui s’enfile des pots de rillettes Bordeau Chesnel comme si c’était rien et un gamin en pleine croissance qui ne jure que par les Kinder Pigui, les vrais, pas les marques pouce en l’air. On ne peut plus le duper. Il a huit ans.

— Huit ans ? Comme ça file, c’est dingue…

— Mais ta gueule, Marcel Proust ! À cause de tes conneries, je peux plus aller bosser. Je vais passer pour un cancre et un crado qui respecte pas les gestes barrière. Merci infiniment !

— Je te jure que j’ai pas donné ton nom. Tu délires. Va te faire soigner.

— Toi, va te faire soigner ! Monsieur j’ai chopé le Covid, likez moi, je souffre. Tu fais peine. T’as pas plus de fierté que de système immunitaire.

Évidemment, afin de tirer cette affaire au clair, j’aurais pu appeler la CAF et leur demander frontalement le nom et l’adresse du citoyen modèle qui m’avait mis dans ce bourbier. Évidemment… Sauf que le lendemain de cet appel surtaxé, on aurait sonné chez moi (Tiens donc ! A cette heure-ci ?) (car ils agissent toujours la nuit, ces lâches), j’aurais ouvert la porte et deux types costauds habillés comme des cosmonautes m’auraient plaqué au sol avant de prendre ma température sans ménagement (par le chemin le plus fiable), puis m’auraient jeté dans un fourgon noir, direction un laboratoire clandestin Pfizer. Et on n’aurait plus jamais entendu parlé de moi, dans le mesure où j’aurais passé le restant de mes jours (vingt mètres sous terre) (quelque part en Norvège) à jouer les souris blanches pour des essais de vaccins en phase de développement précoce. En mode je sers la science et c’est ma joie. Non merci.

En tout cas, ça devait pas être l’autre crétin qui m’avait balancé, effectivement. D’une part parce que je l’avais pas vu depuis deux ans, c’est vrai, et aussi parce que personne (à part moi) ne peut avoir la rancune aussi tenace pour une raquette de badminton fracassée à plusieurs reprises sur un banc public (j’étais saoul et le volant s’était avéré défectueux, lui aussi).

— Bon, et sinon, tu vas mieux quand même ? J’ai fini par lui demander.

— Ben j’en ai bavé. Faut faire attention, c’est pas une blague, ce truc, OK ? J’étais au fond du trou, je te jure. Les premiers jours ont été particulièrement…

Je vous épargne la description pénible (et racontée avec les pieds) des divers symptômes et autres phases de rechute qu’a malheureusement dû affronter, pas du tout au péril de sa vie d’ailleurs, mon épuisant ami en mousse. Il a terminé en déclarant :

— Enfin bref, prenez bien soin de vous. La covid, je recommande pas.

— Tu recommandes pas ? On parle d’une pandémie mondiale, mec, pas d’une semaine à Center Parcs.

— T’es toujours aussi chiant, c’est inouï. La plupart des gens arrêtent de faire les malins quand ils perdent leurs cheveux. Toi, tu restes un plaie. T’es le même connard invivable qu’à vingt ans… Tu t’en rends compte, parfois ?

— C’est parce que je prends moins de douche.

— Ça n’a aucun sens. C’est quoi cette histoire de nouveau taf ?

— Rien de fou. Faut juste que je rentre un salaire. Laisse tomber.

— Attends… T’étais pas censé être écrivain ?

Ah. Le. Bâtard.

Écrivain… Même venant de sa part, c’était susceptible de me blesser. Cependant, je ne me suis pas démonté. J’ai gueulé :

— Un livre ! J’ai écrit UN livre. C’est bon ? C’est dingue, ça… J’étais pas bien. On connait tous des hauts et des bas. J’ai déconné, voilà. Vous allez continuer à me faire chier avec ça toute ma vie ? Je suis pas fier. Mais c’est pas une raison pour me traiter d’écrivain non plus…

— …

— Je suis qui, pour toi ? J.K Rowling ? Un recueil de nouvelles, en plus. Même pas un roman. C’est quoi, UN recueil de nouvelles, dans toute une vie ? C’est que dalle. De la pisse de chat. Personne ne l’a lu, de toute manière.

— Ton succès aura été confidentiel, comme on dit.

— On est au-delà du confidentiel, là ! On frôle le secret-défense, mon pote…

— Bon, écoute, j’y peux rien si t’as des loisirs à la con. Tiens, tu devrais venir avec moi au CrossFit, de temps en temps.

Le CrossFit… Ne me lancez surtout pas sur le CrossFit. Si cette pandémie pouvait au moins nous débarrasser des adultes qui font de la corde à sauter et des abrutis qui déplacent des objets lourds sans raison… Mais non. Le covid n’emporte que des vieillards innocents qui ne demandaient qu’à siffloter Luis Mariano et à ne jamais lire « La conjuration des imbéciles », par ce bon vieux John Kennedy Toole.

Écrivain…

Mon dernier projet se présentait sous la forme de vingt pages manuscrites écrites de travers. Il s’agissait d’un ramassis de notes prises sous Merlot.  J’avais en tête d’écrire une compilation d’attestations de sorties dérogatoires. Un ouvrage satyrique, désopilant, d’une grande originalité. Bref, ça n’avait aucun sens. Ni aucune valeur commerciale. De toute manière, je ne vois pas pour quelle raison obscure je m’éreinterais à écrire de la prose valable, si les libraires ont tous baissé le rideau et que la vente de livre est interdite en grandes surfaces.

Heureusement, il reste Amazon.

J’ai consulté par la suite mon classement actuel au sein des meilleures ventes de livres sur cette plate forme de l’enfer, et j’ai donc appris que mon dernier bouquin, l’excellent « La défense sera mon dernier show », était classé 84 737ème en Littérature Française. Que dire ?

Mon avenir au sein d’Amazon semble compromis. C’est pas comme ça qu’on va devenir propriétaires, Professeur Raoult et moi (sans parler de ma femme et mon fils, qui devraient nous rejoindre plus tard).

Pour finir, j’ai raccroché au nez de l’autre baltringue et je suis sorti pratiquer « une activité physique individuelle d’une heure quotidienne dans un rayon maximal d’un kilomètre autour du domicile ». Autrement dit, j’ai fais trois fois le tour du pâté de maison en me giflant vigoureusement, au nom de l’Humanité toute entière.

Quelle époque immonde pour un vieillard. Et quelle époque immonde pour un enfant.

Quelle époque insensée, surtout, pour un auteur de nouvelles…

Seuls vont survivre les mecs qui mixent, les employés de la CAF, les balances, Calogero, le sexisme, les cobayes, les barbus et leurs trottinettes électriques, Anxiété et Constipation Magazine, les livreurs de sushis à bicyclette…

Et Amazon, bien entendu.

Et ce monde se changera peu à peu en Roubaix, la nuit.

Sur l’échiquier, tous les pions seront finalement isolés les uns des autres. En sécurité.

Mais on ne gagne pas une guerre en dispersant sa ligne de front.

Et je continuerai à perdre mes cheveux. Je serai de moins en moins chiant.

J’arrêterai de faire le malin.

Et je ne serai plus une plaie.

Et nous aurons tous oublié, dans cette dérive hygiéniste, vague après vague, signalement après signalement, dérogation après dérogations, annulation après annulations, qu’une bonne colère vaut parfois mieux qu’une bonne douche.

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In loving memory of…

Roubaix, la nuit…

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