Confinés VS cons finis

in Brèves de bureau

Emploi du temps journalier à l’heure d’une pandémie mondiale.

8h00

Réveil poisseux. Prise simultanée de conscience et de température frontale. Certitude d’être infecté(e). Good morning, sunshine.

Non, tout ceci n’était pas un cauchemar.

Au contraire, nous sommes bel et bien le 16 mars 2020. La frontière franco-allemande est à présent fermée. Vous commencez déjà à ressentir le manque tabagique. Allumez une cigarette. Il vous en reste 13. Recomptez. Il ne vous en reste plus que 12, en fait.

Paniquez, mais seulement quelques secondes.

Recomposez-vous.

Levez-vous.

8h05

Évitez à tout prix de vous connecter aux sites d’information en direct avant d’avoir salué vos proches, offert un sourire rassurant à chacun des membres de votre famille.

C’est important.

Après lecture des nouvelles, il sera trop tard pour vous montrer sous un jour convivial.

Retardez le plus tard possible la prise quotidienne d’informations anxiogènes.

Buvez plutôt un grand verre d’eau.

Buvez-le très lentement.

Votre santé mentale et votre capacité à ne pas agir comme un(e) demeuré(e) en dépendent.

8h30

Petit déjeuner.

Tour de table. L’un ou l’autre des occupants de votre domicile présente-t-il des symptômes inquiétants ? Fièvre, toux sèche, souffle court, angoisse, sueurs froides, propos incohérents, tendances suicidaires…

Non ?

Félicitez-vous mutuellement pour votre résilience et les comportements que vous avez mis en place depuis longtemps déjà afin de prendre vos distances avec le monde moderne (chômage longue durée, désillusion précoce, agoraphobie)

Vous pouvez à présent faire couler du café, si vous en disposez encore.

Sinon, mettez de l’eau à bouillir et commencez votre journée avec un sachet de tisane « nuit calme » oublié au fond du placard depuis des mois. Nuit calme. Tant pis. Nous ne sommes plus à un paradoxe près et nous vous rappelons que le café est une drogue, de toute façon.

8h45

Connectez-vous enfin aux réseaux sociaux et abstenez-vous à tout prix de donner votre avis sur une situation qui vous dépasse. Qui dépasse l’entendement. Ne dites rien. Ce sera extrêmement difficile. Mais taisez-vous. Les risques de propagation de la connerie crasse sont réels et dangereux.

Eux aussi.

Reprenez une tasse d’infusion Nuit Calme si nécessaire.

Tentez de vous dégoter une vidéo de chat.

9h00

Il fait un temps splendide, ne correspondant absolument pas à la situation catastrophique que nous nous apprêtons à traverser. Attention, il s’agit d’un piège. Ne cédez pas à la tentation de sortir vous promener, acheter le pain ou dévaliser collectivement une grande surface.

Ne sortez pas du tout.

Résistez, en fait, à l’invitation du printemps.

Imaginez-vous, s’il le faut, en pleine détresse respiratoire, échoué sur un brancard au milieu d’un couloir encombré. Entendez ce professionnel de santé hurler : « Hey ! Tout le monde ! Il ne nous reste deux places en réanimation. Deux ! Alors je vous préviens : la première est pour ma mère, que j’aime de tout mon cœur. OK ? En ce qui concerne la seconde, vous n’avez qu’à organiser une putain de tombola entre les 756 patients qui trainent ici ou là, je suis trop crevé pour en avoir quelque chose à foutre. Voilà le topo. Que Dieu me pardonne… ».

Maintenant que l’envie de mettre les pieds dehors vous a définitivement quittée, ouvrez grand votre fenêtre et chantez à plein poumon un tube de Dalida, en espérant que votre initiative soit reprise en chœur par l’ensemble du voisinage. Deux minutes plus tard, vous entendrez sans doute quelqu’un gueuler : « Non mais tu vas la fermer, ta putain de gueule ! Gigi l’Amoroso de mes couilles, va…». Vous constatez alors que les comportements latins et Bas-Rhinois diffèrent significativement. Tant pis. Refermez la fenêtre et tirez les volets si vous jugez, comme moi, que ce grand soleil est insultant et vraiment hors de propos.

9h30

École à la maison.

Connectez-vous à la plateforme dédiée et constatez qu’il va falloir vous débrouiller seul(e), avec les quelques réminiscences scolaires qui vous restent. Invoquez le pédagogue qui sommeille en vous. Constatez au bout d’un quart d’heure que cette personne n’existe pas. N’a sans doute jamais existé. Constatez également que vous êtes incapable de poser une multiplication ou conjuguer un participe passé lorsque l’auxiliaire « avoir » est placé avant le verbe. Prenez la juste mesure de votre connerie intersidérale. Respirez. Ne soyez pas trop durs envers vous même. Vous avez toujours été meilleur(e) en sport.

Autorisez par conséquent vos enfants à jouer à la tablette, à volonté, YOLO, du moment que personne ne cède pas à la panique. Parquez les dans la pièce de votre minuscule appartement offrant la meilleure connexion Wifi. Ajoutez quelques boites de céréales et un sac de cinq kilos de farine. Oubliez les pendant un certain temps. Avant de verrouiller la porte à clef, promettez leur que cet été, vous les emmènerez au camping. Et que ce sera chouette. Et que tout ira bien. Oui. Tout ira bien… Retenez vos larmes. Jetez la clef.

10h30

Vous vous ennuyez ferme. Vous êtes terrorisé(e), sans oser le dire à personne. Vous scrollez les sites d’actu sur votre téléphone portable en vous bouffant les doigts (dans le mépris des « gestes barrières » les plus élémentaires – Ne vous bouffez les doigts sous aucun prétexte – Mordez plutôt dans un morceau de cuir). Vous décidez qu’il serait peut-être temps de méditer. Vous n’avez jamais médité de votre chienne de vie mais vous estimez qu’il serait peut-être temps de vous pencher sur votre respiration, votre rapport à l’existence et la série d’évènements historiques ayant pu nous conduire à une telle situation de merde. Votre séance de méditation se solde au bout de six minutes par une sévère crise d’angoisse. Cessez immédiatement cette activité. Ne soyez pas trop dur envers vous mêmes. Après tout, vous avez toujours excellé au badminton.

11h00 – 14h59

Vous êtes prostré(e).

Vous ne savez plus quoi faire de vous même.

Il n’y a plus de beurre au frigo mais la simple idée de descendre trois étages et vous lancer à l’assaut du Lidl équipé d’une armure en Kevlar vous terrifie.

Mordez encore dans votre morceau de cuir.

17h00

Le président Macron, père de la nation et médecin urgentiste en chef de cette grande famille qu’est la France, prendra la parole à 20h00. D’ici là, il est encore temps de faire comme si tout cela n’était qu’un mauvais rêve. On ne sait jamais. Vous enfilez votre manteau et sortez marcher un peu. Vous avez envie de jouer au Molki, tiens. Dans un parc. Vous savez que c’est idiot et irresponsable. Mais ce soleil…. Cet enfoiré de soleil ! Le soleil brille pour tous, non ?

Vous arrivez au bout de votre rue et faites demi tour. Vous regagnez votre domicile en courant comme un(e) dératé(e). Vous arrivez chez vous essoufflé(e).

Essoufflé(e).

Vous prenez votre pouls. Votre respiration se calme.

Elle se stabilise.

Là…

C’était moins une.

Reprenez une tasse d’infusion Nuit Calme.

S’il en reste.

Allez vous coucher tôt, sans allumer votre télévision.

Demain, tout ira mieux.

Il vous reste 4 clopes et deux sachets de tisane.

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