Quel temps « ils » veulent ?

in Brèves de bureau

Observation du ciel, anticipation des données climatologiques, invention toute récente du concept de températures « ressenties »… Ces valeurs républicaines constituent aujourd’hui un vecteur très fort de lien social.

Immersion au sein d’un bureau strasbourgeois climatisé :

—    Je ne supporte plus la chaleur depuis ma troisième grossesse. Dès qu’on passe légèrement au-dessus des valeurs saisonnières, je me mets à transpirer comme une demeurée. Je perds toute confiance en moi, c’est horrible !
—    Quand il pleut, j’ai envie de me tuer. J’ai l’impression que c’est un affront personnel. Qu’on fait ça pour me pourrir la vie. Alors, oui, dans ces conditions, je préfèrerais encore mourir, je crois…
—     Ok, mais les agriculteurs attendaient ça depuis longtemps, tout de même, François.
—    Moi, je connais un agriculteur.
—    Moi, je me souviens, les hivers quand j’étais petit, c’était pas des hivers de suceur de pine comme maintenant. On les sentait passer ! Et on se plaignait jamais. On jouait avec des cailloux, des écureuils morts, n’importe quoi. On avait pas tablettes, nous, à l’époque et on est pas morts.
—    Oh oui, il a raison ! J’adorais le bruit que ça faisait, moi, quand on marchait dans la neige avec nos bottes en plastique.
—    Sylviane, c’est pas de ça qu’on parle. Merde ! Tu fermes ta gueule tout de suite. On t’a pas sonnée, en fait. Moi, j’ai grandi au bord de la mer et je peux quand même vous dire une chose : équinoxe….
—    Vous savez que si ça continue comme ça, j’ai peur que ça ne s’arrête jamais.
—    Oui mais on s’en fout, putain ! On s’en tape complètement de ça. Ce qui compte, ce sont les anticyclones des Açores ! Là, c’est vraiment du lourd, les mecs. C’est solide. Une dépression anticyclonique de plus, et on est tous bons pour la casse, ok ?
—    On ne sait plus comment s’habiller, quoi…
—    Je sais pas. Une veste en Gore-Tex, ça passe partout, je pense.
—    Non Hervé, je me suis mal exprimée : on ne sait littéralement plus s’habiller. On ne sait plus enfiler ses chaussettes ni à quoi sert un chapeau. Moi-même, je m’habille très péniblement. Je suis devenue très maladroite. Je me lève à quatre heures du matin, c’est éreintant.
—    Excusez-moi mais… Y’avait pas des glaciers, ici, avant ?…
—    Quoi ??

*** 5 minutes passent ***

—    Y’avait toute une chaîne de glaciers ici, avant ! Allez quoi, vous foutez pas de ma gueule. Je sais bien qu’ils étaient là…
—    Mais Michel, ça va pas non ?
—    Celui qui les a pris, il les remet tout de suite. Je vais sortir deux minutes et quand je reviens…
—    Michel, tu te calmes ! Personne ne vole les glaciers dans cette boite. Ils sont surement tombés derrière ton bureau.
—    Ah oui !  Au temps pour moi, ils sont là.
—    De toute façon, c’est à cause des usines. Ils mettent des usines partout et puis voilà.
—    Voilà quoi ?
—    Ben le réchauffement, là… Les hivers de suceur de pine. Daesh. La cigarette électronique.
—    Les usines ?
—    Bingo.
—    Mais de quoi tu parles, putain de ta race ? C’est quand la dernière fois que t’as vu une usine sortir du sol ? Tu connais l’état actuel du secteur industriel ? Tu veux que je t’emmène à Merlebach, pour voir ?
—    Mon Dieu, François ! Tu as grandi en Lorraine ?
—    C’est compliqué, tu sais.
—    Je suis désolé, je n’aurais jamais du… Enfin, si j’avais su, je n’aurais jamais…
—    Ce n’est rien. Mais à l’oreille, je peux te dire que tu ne sais pas placer les accents circonflexes et ça me fout en l’air car je pensais que tu étais une amie…
—    Mais c’est bientôt fini tout ça, au cul la ponctuation !
—    Comme les glaciers…
—    Michel ! Va te tuer quelque part, je t’en prie.
—    Non mais tout ce que je dis, c’est que…
—    Regardez, il pleut!
—    Je ne comprends pas. Ils ont dit hier soir que les mouvements anticycloniques laissaient présager un temps ensoleillé en dessous d’une diagonale Brest/Lyon…
—    Pour ou contre les essuie-glaces automatiques ? Allez, soyez francs…
—    Contre.
—    Contre.
—    Contre.
—    Pour.
—    Equinoxe.
—    Je voudrais mourir.
—    Non mais quand même, vous vous souvenez de ce petit bruit que ça fait ? Comme un crissement ? Quand on marche avec des bottes sur la neige fraîche ? Vous voyez pas ?
—    Sylviane, écoute moi bien… Tu places tes accents circonflexes à la perfection mais je vais devoir te demander de prendre un taxi, de te rendre au centre hospitalier le plus proche et de demander le professeur Jacquemine afin qu’il suture sans aucune forme d’anesthésie ces deux grosses lèvres de connasse nostalgique que tu persistes à agiter devant nous alors que c’est pas la question, le bruit de la neige, MERDE !

Quelles conclusions, en définitive, pouvons-nous tirer de cet échange ?

Troublant, assurément. Les enjeux climatiques ne cessent d’alimenter la névrose et, parallèlement, d’encourager une certaine forme de lien social.
Pour autant, si l’homme blanc commande beaucoup de bois de chauffage, l’indien saura-t-il en tirer les conclusions qui s’imposent ?
Lorsqu’elle chantait « Comme un ouragan », Stéphanie de Monaco essayait-elle de nous dire autre chose ?
Les essuie-glaces automatiques sont-ils responsables de la paresse intellectuelle qui semble avoir frappé le vieux continent ?
Les frères Kouachi ont-ils agi seuls ? Vraiment ? Et pourquoi n’a-t-il pas plu, ce jour-là ?

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