Regarder les touristes tenter désespérément de cadrer la cathédrale sur leurs smartphones, rue Mercière.

Les perches à selfie sur le pont tournant,

Glisser sur tes trottoirs en février,

Les illuminations de Noël,

Les airs de pute que tu te donnes pour gratter trois francs,

Strasbourg la michetonneuse,

Te voir grandir comme une enfant gâtée,

Tes bars à concept en carton-pâte,

Ton Rivétoile, tes Halles et ton Applestore.

Les « chuts ! » de tes videurs,

Les crevaisons à vélo,

Mes fils, hilares, tentant de soulever ton gros caillou, Place du Marché-Gayot,

Tes saules pleureurs, ceux qui sont encore là,

et ceux qu’on a enlevés,

Ton parc enclavé, absurde, ceinturé d’asphalte, place de Haguenau,

L’enfer du Café des Anges,

Les Catacombes, si tu t’en souviens,

Le banc du Parc de l’Orangerie, sur lequel j’ai attendu,

Longtemps,

Sur lequel on m’a vue pleurer,

Le kiosque des Contades, à l’abri d’un orage d’été,

Les cygnes malfaisants,

Les afters lugubres dans tes appartements,

Scotchée sous tes combles,

Le balcon de l’Odyssée, mes pieds au-dessus du vide pendant une rediffusion de The Big Lebowski,

Percher vers l’infini et sacrément au-delà, en plein Ososphère,

Alex du Phonographe, le meilleur barman/ursidé du monde,

Les coups de sonnettes assassins, vibrants de haine contenue, sur les piste cyclables encombrées de touristes à l’attention diffuse,

Les tournesols à deux euros du fleuriste du Faubourg de Pierre,

Faire la bombe dans l’Ill à 3 heures du matin, dans un cri, dans un ongle retourné, effrontément jeune,

Et puis un peu moins,

Marcher pieds nus, Grand’Rue, escarpins à la main, Bonnie Tyler dans la tête,

Les courriers de relance de la médiathèque Olympe de Gouges,

Prière de restituer sans délai les documents suivants,

Glisser le long du canal de la Bruche,

« 1 euro pour picoler », au croisement de Grand Rue et du Fossé des Tanneurs,

Le punk à chien le plus honnête de la ville, ses bras maigres et son poste à cassettes,

A tous les tabacs ouverts le dimanche, je vous aime,

Fumer un joint au pied de la cathédrale, en attendant peut-être quelqu’un,

Mon cœur qui se serre chaque fois que je passe devant les Savons d’Hélène,

Depuis le 11 décembre,

La peur que ça retombe, un jour, n’importe quand,

Sur n’importe qui,

La gare, avant qu’on la mette sous cloche,

Ce piéton que j’ai renversé, rue Kageneck, avec mon vélo sans frein,

Mille fois pardon,

Cette bagnole qui m’a suivie, la nuit, rue du Travail, ses phares sur moi et les battements de mon cœur,

Comme deux godasses dans un sèche linge,

Nico du Kalt, le cerbère/licorne,

Les couloirs encombrés des urgences de Hautepierre, et moi qui pisse le sang,

Tous ces gens qui m’ont demandé leur chemin,

Et à qui j’ai certainement menti,

Cette péniche que je n’ai jamais achetée,

Ce coin de rue où j’ai cru ne plus jamais te revoir,

Au croisement de rue Sellénick et de Phalsbourg,

Le bruit de mes bottes ce matin là,

Tous les tapages nocturnes dont je me suis rendue coupable,

Les hêtres couchés, déracinés, place de la République,

Le fantôme de cette cabine téléphonique place de l’Hôpital,

Petite monnaie et gros chagrin,

Se prendre les roues dans les rails du tram,

Tomber,

Poireauter dans le froid, sur une chaise en plastique, au pied du carrousel place Gutenberg,

Pendant que mon fils chevauche son enfance,

Et m’adresse un signe de la main à chaque rotation.

Mon prénom écrit à la craie sur le trottoir, quinze fois, de toutes les couleurs, Quai de Paris,

Le skaters incassables du Musée d’Art Moderne,

« Je ne crois pas qu’il y ait de bonnes,

Ou de mauvaise situation » écrit au feutre,

Sur le mur des chiottes du Troc Café,

Cette main au cul, rue des Arcades, en pleine foule,

Venue de nulle part,

Forçant son chemin honteux jusqu’entre mes jambes,

Les sourires offerts, ici ou là,

Mon fils enfermé dans les toilettes d’un bateau mouche,

Strasbourg au fil de l’eau,

Strasbourg en danseuse,

Strasbourg ivre,

Strasbourg heureuse,

Et 8 vélos toujours disparus…